La nouvelle croisade d’Eric Breteau
Le patron de l’Arche de Zoé, libéré il y a huit jours, multiplie les apparitions médiatiques pour se justifier et met en cause les autorités.
MARIA MALAGARDIS
QUOTIDIEN : mercredi 9 avril 2008
Coucou le revoilà ! Il avait disparu le 31 mars par une porte dérobée de la prison de Fresnes, il réapparaît huit jours plus tard, souriant et combatif, devant micros et caméras. Eric Breteau, le fondateur de l’Arche de Zoé, est partout depuis lundi, sur les ondes puis à la télé, passant, dans la même soirée, du Grand Journal sur Canal + au JT de TF1, où il partageait la vedette avec Jodie Foster. Hier, Eric Breteau était encore sur LCI, puis chez Marc-Olivier Fogiel le soir même. Partout, il tient le même discours : rétablir sa vérité sur cette étrange opération pour sauver les enfants du Darfour, à partir de l’est du Tchad, et qui s’est achevé par un fiasco retentissant, le 25 octobre dernier. Depuis leur arrestation ce jour-là, les six bénévoles de l’Arche de Zoé ont toujours estimé qu’ils avaient été victimes d’un lynchage médiatique. Libérés le 31 mars suite à la grâce du président tchadien Idriss Déby, certains veulent donner leur version des faits. Les voilà donc qui parlent, se laissent suivre par les caméras, se retrouvent chez Ruquier ou dans un reportage de Sept à Huit.
Mais celui qu’on attendait, c’était le mentor de cette opération humanitaire. Cravate rouge et élocution parfaite, Eric Breteau n’a pas déçu : non seulement il «balance» sur les plateaux télé, mais il annonce également la publication d’un livre (1), lourd en révélations, «que vous découvrirez à la lecture», promet-il sur TF1, face à un PPDA impassible. Le peu qu’il distille suffit déjà à créer la polémique.
«Insensé !» Premier coup de semonce : Cécilia Sarkozy et la garde des Sceaux Rachida Dati étaient attendues à l’aéroport de Vatry, dans la Marne, le soir où devait atterrir l’avion emportant les 103 enfants. «Insensé ! Ça ne repose sur rien», rétorquait, hier, Guillaume Didier, le porte-parole de la chancellerie, alors que, dès le matin, Rachida Dati avait affirmé «ne pas connaître monsieur Breteau». Mais ce dernier va plus loin et met en cause Catherine Pégard, une ancienne journaliste devenue conseillère à l’Elysée, dont l’assistant aurait encouragé l’opération au Tchad avant d’être contraint de démissionner au moment du fiasco. Ce que confirmait, hier, Christine Péligat, la femme d’un autre bénévole de l’Arche de Zoé, tandis que l’Elysée opposait un démenti formel à tout contact entre Eric Breteau et Catherine Pégard. Alors, qui dit vrai ?
Depuis le début de l’histoire, rumeurs et accusations sur l’implication du gouvernement et de l’Elysée vont bon train. Les bénévoles de l’association semblent avoir appris à souffler le chaud et le froid avec les médias, se méfiant puis sollicitant des journalistes qui, il est vrai, ne les ont pas épargnés. Considérés longtemps comme des «zozos», ils trient désormais les médias auxquels ils s’adressent. Et distillent leurs vérités en fonction d’un calendrier qui tient aussi compte de l’évolution de leur dossier judiciaire. Ils étaient encore au Tchad qu’on évoquait déjà le rôle d’un conseiller de Bernard Kouchner et le soutien implicite de Cécilia Sarkozy. Des accusations réitérées, lundi, dans le Figaro, par Breteau. Hier, Bernard Kouchner a affirmé que le quai d’Orsay envisageait «des poursuites». Concernant Rachida Dati et Catherine Pégard, le «patron» de l’Arche de Zoé a donc choisi d’attendre sa sortie de prison pour dégainer. Et ce n’est pas fini. Son livre, tiré à 50 000 exemplaires, sera publié, début mai, «dans un temps record», reconnaît son éditeur. Breteau y réserve de nouvelles révélations.
Offensive. Mais son offensive médiatique suscite aussi quelques réserves : «Breteau a affirmé à la télé que le but de l’opération, c’était de faire un coup médiatique pour impliquer la communauté internationale au Darfour. Mon client n’était pas parti au Tchad pour ça, mais pour sauver des orphelins de guerre», explique Me Olivier Desandre-Navarre, l’avocat du pompier Dominique Aubry, encore très meurtri par cette histoire. «Voir Breteau à la télé, soudain en forme, et si offensif, crée un vrai contraste avec certains membres de l’équipe. On a l’impression qu’ils n’ont pas vécu la même histoire», suggère l’avocat. Devant les rares caméras qu’il accepte de recevoir, Dominique Aubry a facilement les larmes aux yeux et souligne qu’il n’était «qu’un logisticien». Comme le médecin Philippe Van Winckelberg, qui n’était, lui aussi, «qu’un simple médecin», installé «à 200 km du lieu où arrivaient les enfants». Certains prennent leurs distances, d’autres continuent à se taire : les deux femmes, Nadia Merini et Emilie Lelouche, restent encore silencieuses. L’une est toujours alitée à l’hôpital de Villejuif, la seconde se cache pour fuir les médias. Restent Eric Breteau et Alain Péligat, embarqués dans une guerre médiatique pour prouver leur innocence et expliquer que les enfants «étaient bien des orphelins du Soudan».
Sur le plateau de TF1, Eric Breteau rappelle que ce pays menaçait d’ailleurs de porter plainte contre les six bénévoles, «précisément parce que ces enfants sont Soudanais», omettant de préciser que la plainte éventuelle de Khartoum ne concerne que 18 enfants sur 103. Mais PPDA semble mal à l’aise avec ce dossier compliqué de vrais-faux héros de l’humanitaire. Et puis l’heure tourne : un autre talk show prendra le relais pour avoir sa part de révélations sur l’Arche de Zoé.
(1) Arche de Zoé : les dessous d’une affaire d’Etat, éditions Plon, sortie prévue le 3 mai.
http://www.liberation.fr/actualite/societe/320142.FR.php